Ce nâest ni le temps que vous passez Ă discuter avec votre conjoint ni celui consacrĂ© Ă appeler la famille ou les amis, ce nâest pas non plus celui que vous aimeriez consacrer Ă la lecture (38 min quotidienne selon de rĂ©centes statistiques). Non, 2 heures par jour, câest la durĂ©e moyenne pendant laquelle nous sommes exposĂ©s de maniĂšre plus ou moins consciente Ă des stimuli publicitaires[1] de toutes sortes.
AprĂšs avoir eu connaissance de cette Ă©niĂšme statistique je me suis alors imaginĂ© assis, statique, passif. Façon « Orange MĂ©canique« , 120 minutes Ă voir dĂ©filer des images, pleine face, messages publicitaires, prise de positions politiques, thĂ©ories du complot, pĂ©titions, avis d’experts improvisĂ©s pĂ©tris de certitudes partagĂ©es d’un clic, encore et encore…
Et confinement oblige, il a suffit que je me laisse aller Ă reprendre le fil de mes rĂ©seaux dits sociaux, pour rapidement faire ce constat : Orange MĂ©canique c’est ici, c’est mon fil dâactualitĂ©. Un ramassis de posts publicitaires, dâinfos douteuses et anxiogĂšnes appuyĂ©es dâimages qui vous dispensent sournoisement de toute lecture de fond sur le sujet, de prises de position politiques appelant Ă plus de dĂ©mocratie alors que rares sont ceux qui supportent encore la divergence de point de vue ou la nuance⊠et en pĂ©riode de confinement ces espaces ouverts de discussions plutĂŽt fermĂ©es mâont fait rĂ©flĂ©chir face Ă cette abondance de porte-Ă©tendards 2.0. 2 heures. 120 minutes, tous les jours.

Une image nâest ni vraie ni fausse
Elle est un signe complexe qui nĂ©cessite dâĂȘtre dĂ©codĂ© pour le comprendre pleinement, sous peine de malentendus, de manipulation ou de confusion. Bien que rĂ©elle par dĂ©finition, elle existe, je la vois, lĂ , Ă l’Ă©cran ; elle est pourtant bien diffĂ©rente de la rĂ©alitĂ©, ne serait-ce que par ce quâelle est issue dâune fabrication et donc sujette Ă interprĂ©tation opposant « ce que lâon voit » et « ce que lâon croit voir » ou « ce que lâon souhaite voir ».
Câest le texte, la lĂ©gende ou le contexte qui accompagne cette image qui nous confronte Ă la rĂ©alitĂ© de ce que nous voyons. « Ceci nâest pas un pipe » vous fait penser Ă Magritte ? Bien, mais nâoublions pas quâil ne sâagit pas du nom du tableau qui porte cette inscription. « La trahison des images », voilĂ son titre. Lâimage dâune pipe, aussi rĂ©aliste quâelle puisse ĂȘtre ne sera jamais une « vraie » pipe que lâon peut manipuler et fumer.
Lâimage est une crĂ©ation de lâesprit et de la culture et de ce fait, son environnement, son contexte, son insertion dans un cadre plus large sont des conditions essentielles Ă sa comprĂ©hension[2], surtout si je dois en voir dĂ©filer pendant 120 minutes par jourâŠ

Telle une sirĂšne
Le plaisir est immĂ©diat, notre pensĂ©e se relĂąche au contact de lâimage, comme pour les rĂȘves, elle fait appel Ă notre imaginaire. Il nây a pas de distanciation automatique comme pour le langage oĂč lâaspect symbolique des mots nous dĂ©tache plus des choses. Lâapproche est facile et la comprĂ©hension demande moins dâeffort que de dĂ©chiffrer un texte, il ne faut pas nĂ©cessairement maĂźtriser les codes (lâalphabet par exemple) pour lâapprĂ©hender. [3]
Contrairement au discours parlĂ© ou Ă©crit, on entre dans lâimage par oĂč lâon veut. Le sens de lecture nâest pas obligatoirement linĂ©aire, mĂȘme si un sens peut exister. La posture mentale qu’elle nĂ©cessite est donc trĂšs diffĂ©rente.
Lâimage est le vĂ©hicule d’une culture de masse, bien adaptĂ© aux rĂ©seaux sociaux, dans lâidĂ©e quâelle cultive la satisfaction par opposition Ă une culture dâĂ©ducation par lâapprentissage. A la vue d’une image, nous recevons diffĂ©rents messages qui soulagent ou font rĂȘver, endorment la conscience, masquent la vĂ©ritĂ© en prĂ©sentant sa rĂ©alitĂ©, implacable, irrĂ©futable puisqu’elle s’impose Ă vous.

« La photographie numĂ©rique va nous libĂ©rer de la croyance en lâeffet de rĂ©el »
Ce nâest pas moi qui le dis, câest Roland Barthes.  « Lâeffet de rĂ©el crĂ©e par la photographie a pu faire croire que lâimage faisait partie de son modĂšle ou quâelle en Ă©tait lâĂ©manation directe. La photographie numĂ©rique va nous libĂ©rer de la croyance en lâeffet de rĂ©el ». « La photographie adhĂšre Ă la rĂ©alité », disait-il, « lâimage numĂ©rique lâen dĂ©colle[4] ».

Alors jâai laissĂ© tomber mon smartphone pour reprendre mon appareil photo, et je me suis posĂ© pendant 2 heures, devant un sablier revisité : un goutte-Ă -goutte bien rĂ©el, composĂ© de gouttes de lait tombant dans un espace confinĂ©, et qui Ă©graine le temps qui passe… Je fige chacune des gouttes qui tombent dans ce verre, je fige chaque image qui se prĂ©sente et mais attention⊠« ceci nâest pas une goutte »

Références
[1] https://www.mediapost.com/publications/article/316932/time-spent-with-advertising-daily.html
[2] MELOT MICHEL, « Lâimage nâest plus ce quâelle Ă©tait », Documentaliste-Sciences de lâinformation 2005/6, vol.42
[3] « Il ne faut pas avoir peur des images » Entretien avec Daniel BOUGNOUX, « Le monde de lâimage » Sciences humaines n°43, Hors sĂ©rie dĂ©c 2003- fĂ©v 2004.
[4] MELOT MICHEL, « Lâimage nâest plus ce quâelle Ă©tait », Documentaliste-Sciences de lâinformation 2005/6, vol.42
4 Responses
TrĂšs beau texte.
Pourquoi notre société doit elle toujours intélectualiser les choses ?
TrĂšs beau texte.
Pourquoi dans notre société faut il toujours tout intellectualiser ?
TrĂšs belle plume ! MĂȘme si ceci n’est pas rĂ©digĂ© avec de l’encre đ
Merci beaucoup !