Boulettes de poisson, parapluies et indigestion : une autre vision de la street-food

Des parfums inconnus, les couleurs de l’arc-en-ciel sur une brochette, des formes étranges dans une soupe et le goût du risque peut-être aussi, voilà ce qui nous pousse à lâcher un « This one, please » en pointant du doigt un truc improbable qu’on a repéré sur un étal. 

« This one please »

La plus variée du monde !

C’est en tant que touriste curieux, et gourmand j’avoue, que j’ai tout d’abord abordé la « street-food » ou « cuisine de rue » si l’on préfère. Des mains tendues qui s’affolent au travers des vitres d’un bus pour vous vendre des piments conditionnés dans des papiers journaux indiens, aux feuilles de bananier farcies en de bord de plage en Thaïlande en passant par ces petites charrettes à deux roues aux pieds des gratte-ciels de Hong-Kong, j’ai eu l’occasion de tester quelques OVNI culinaires et une chose est sûre : la cuisine de rue est certainement la plus variée des cuisines !

Dans la gastronomie moderne on travaille le goût bien entendu mais aussi son esthétique, l’harmonie des couleurs, les volumes, la petite touche de vert, de rouge, les petits points de sauce, même la forme de l’assiette y passe ! Bref, on mange d’abord avec les yeux ! 

Street food
Cuisine de rue à Hong Kong

Mais là, à plusieurs milliers de kilomètres de chez vous, perdu dans une nouvelle culture, cette expression prend une autre dimension…au coin d’une rue, l’œil se pose et le doigt pointe… un « truc ». On interroge alors le vendeur du regard et d’un sourire en espérant qu’il nous rassure sur notre choix et puis, oh surprise oh joie ! Alors on renouvelle l’expérience, encore et encore…et une fois rassasié, assis sur un bout de trottoir à prendre un peu de recul sur cette profusion d’ovnis culinaires, il y a une chose qui saute aux yeux : on n’est pas seul.

Pause cravate

La street-food, un véritable moteur d’inclusion sociale

Aujourd’hui dans le monde on estime à près de 3 milliards le nombre de personnes qui par jour mangent de la « street-food » ; c’est particulièrement vrai en Asie où elle est un véritable héritage culturel et un patrimoine bien vivant grâce à ses nombreuses qualités : elle est variée, rapide, nutritionnellement intéressante, très bon marché et disponible à toute heure. Mais surtout, à mes yeux, elle constitue un formidable lien social, un vrai moteur pour le « vivre ensemble ». Vous croiserez au détour de ses stands autant de business men à l’heure de la pause déjeuner que de gens beaucoup moins favorisés…

Pourtant, cette cuisine de rue est souvent mal considérée par les autorités locales pour lesquelles elle renvoie une image contraire à la modernité qu’elles souhaitent afficher.

Stand de cuisine de rue

L’importance de la street-food dans le développement économique

Bien que souvent rejetée par les politiques, la street-food constitue une formidable opportunité de développement pour les personnes défavorisées et un réel apport pour l’économie locale. Nécessitant peu, voire quasi pas d’investissements, elle laisse envisager à ceux qui en ont plus que besoin d’atteindre une forme d’autonomie financière. C’est ce que détaille d’ailleurs l’Organisation mondiale de la santé dans son analyse des bénéfices de la cuisine de rue pour la préservation du lien social et de l’alimentation des populations les plus pauvres. Elle y relève le formidable vecteur économique qu’elle représente et le levier d’indépendance qu’elle constitue pour un tas de petites structures bien souvent familiales, qui créent véritablement de l’emploi – en particulier pour les femmes pour lesquelles elle est un vrai moyen d’indépendance.

Cachez cette cuisine que je ne saurais voir

Les autorités sont, à raison, soucieux de prévenir tout risque sanitaire et dans ce domaine la cuisine de rue constitue le coupable idéal. Les modes de préparation, les cuissons ou encore l’hygiène de ceux qui la font ou celle de leurs instruments de cuisine sont les premiers pointés du doigt, après tout, n’est-ce pas ce que l’on voit ? Pourtant les études en la matière montrent que le principal facteur de risques est l’eau. L’eau, tout simplement. L’eau utilisée par les restaurants, dans les foyers et dans la cuisine de rue. L’eau dont l’accès, son traitement et ses qualités intrinsèques sont sous la responsabilité des autorités.

Les gouvernements restent sceptiques sur les bienfaits de la cuisine de rue et sous couvert de lutter contre des problèmes de santé publiques tendent à aseptiser les assiettes et les cultures qui vont avec. Car la cuisine, reste avant tout un art, une culture – et pour la cuisine de rue, une culture accessible à tous !

Révolution des boulettes de poissons

Derrière ce nom qui prête à sourire, se cache le nom d’un événement qui s’y prête moins. En février 2016 dans le quartier de Mong Kok à Hong Kong, à la suite de l’arrestation d’un vendeur de rue le soir du Nouvel An chinois, une manifestation a opposé les forces de l’ordre à de jeunes Hongkongais et restaurateurs de rue. Parmi ces commerçants de rue, nombreux sont les vendeurs de boulettes de poisson, particulièrement appréciées dans le Sud de la Chine.

A l’origine de l’interpellation ? Des normes sanitaires non respectées. 

Des groupes locaux se forment alors pour protester contre la présence des commerçants du continent chinois qui se développent dans Hong-Kong pour acheter des marchandises en gros, et contre des textes de lois qu’ils voient comme empiétant sur la culture de Hong-Kong, comme la fermeture de marchands ambulants qui ne sont plus autorisés dans les marchés traditionnels ou comme ce soir-là, dans les rues, le soir du Nouvel An.

A l’issue de ces manifestations qui ont fait des blessés de chaque côté, une quarantaine de personnes seront interpellées, des peines de prison allant jusqu’à 7 ans seront prononcées. Nous sommes alors à mi-chemin de la révolution des parapluies et des événements récents qui ont débuté mi 2019, qui ont fait plusieurs morts et des centaines de blessés, et depuis la cuisine de rue prend une toute autre saveur…

Sur le même sujet :  https://th.boell.org/en/2017/03/21/street-food-asia-industry-much-better-its-reputation

https://www.vice.com/fr/article/8x3kza/hong-kong-la-revolution-des-boulettes-de-poisson-a-perturbe-les-festivites-du-nouvel-an-chinois

https://fr.wikipedia.org/wiki/Révolution_des_boulettes_de_poisson